Douleur chronique et troubles du sommeil

Traiter ces problèmes de santé

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COMPRENDRE ET TRAITER CES PROBLÈMES DE SANTÉ APPARENTÉS

Jusqu’aux deux tiers des personnes souffrant de douleur chronique font état de troubles du sommeil ou d’un sommeil peu réparateur.

Des études ont également montré que les personnes qui se plaignent principalement de troubles du sommeil finissent souvent par éprouver de la douleur. L’association nocive de douleur et de troubles du sommeil détériore considérablement la qualité de vie des personnes concernées et impose un fardeau énorme au système de santé et à la société en général.

Les relations réciproques entre les troubles du sommeil et la douleur, de même que les aspects subjectifs de ces deux problèmes de santé, en rendent l’évaluation et le traitement particulièrement difficiles. Heureusement, les recherches sur la douleur et le sommeil – qu’on a longtemps considérés comme des sphères séparées – se sont rapprochées, ce qui a mené à d’importantes découvertes.

Une bonne compréhension des relations entre les troubles du sommeil et la douleur ainsi que des modalités de traitement susceptibles d’interrompre ce cercle vicieux peuvent aider les médecins de première ligne à prendre efficacement en charge cet ensemble morbide.

COMMENT LA DOULEUR DÉGRADE LE SOMMEIL

Contexte et épidémiologie L’Association internationale pour l’étude de la douleur définit la douleur comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à un dommage tissulaire présent ou potentiel, ou décrite en termes d’un tel dommage» et la classe en trois grandes catégories:

  • La douleur aiguë, telle que celle qui résulte d’une blessure;
  • La douleur résultant d’un cancer;
  • La douleur chronique non maligne (généralement définie comme durant plus de trois mois ou qui persiste au-delà du temps de guérison normal d’une blessure).

On estime généralement à environ 15% la prévalence de la douleur chronique chez les adultes. Mais ce chiffre s’élève rapidement avec l’âge, atteignant 25% à 50% chez les personnes de plus de 55 ans. Le sexe des personnes joue également un rôle important puisqu’on rapporte approximativement deux fois plus de douleurs chroniques chez les femmes que chez les hommes. Les variations circadiennes entrent également en ligne de compte: parmi les personnes présentant des douleurs musculaires, la plupart font état de douleurs plus intenses l’après-midi que le soir. Des études d’imagerie cérébrale ont montré que des zones du cerveau spécifiquement associées aux émotions (p.ex., gyrus cingulaire, hypothalamus) jouent un rôle direct dans la perception de la douleur et que les sujets qui font état des douleurs les plus intenses ont moins de sites de liaison pour les opiacés endogènes, ce qui pourrait être responsable de la grande variation de la perception de la douleur chez des personnes soumises à des stimulus identiques. Il est intéressant de noter que la perception de la douleur tend à demeurer constante, voire à décroître chez les personnes plus âgées, même si les signalements de douleurs sont particulièrement fréquents dans cette population .

La douleur chronique non maligne, qui peut résulter d’une blessure ou être de source inconnue, est fréquemment associée à des troubles du sommeil. Ceux-ci peuvent aller de la difficulté à s’endormir et du réveil prématuré à une mauvaise qualité de sommeil et à un sommeil moins réparateur.

Entre 50% et 90% des personnes souffrant de douleur chronique (incluant des enfants) font état de troubles du sommeil associés à leurs douleurs, qui peuvent aller de douleurs musculaires et articulaires à des céphalées et des douleurs dues au syndrome du côlon irritable. Un sondage mené auprès d’un réseau de médecins de soins primaires a révélé que la douleur chronique (telle que la douleur articulaire) est associée à des plaintes de somnolence dans la journée, avec des symptômes évoquant le syndrome des jambes sans repos et avec un problème respiratoire pendant le sommeil .

Les cliniciens doivent être attentifs au fait que des problèmes psychosociaux concomitants et une mauvaise condition physique peuvent largement contribuer à l’interaction entre la douleur et le sommeil. L’anxiété, la difficulté à faire face aux événements stressants de la vie et une tendance à ruminer et à voir les choses en noir peuvent exacerber différentes sortes de douleurs et favoriser un état de surexcitation ou d’hypervigilance qui interfère avec le sommeil.

Publié grâce à une subvention éducative de PFIZER CANADA INC. Ce document est une publication commanditée, publiée régulièrement et conçue pour tenir les médecins canadiens informés des notions cliniques et des pratiques thérapeutiques les plus récentes. Bien que l’utilisation des traitements dont il est question ici soit reconnue par les Lignes directrices canadiennes pour le traitement de la douleur, ces indications ne figurent pas sur l’étiquette de plusieurs médicaments. Avant de prescrire tout médicament mentionné dans ce document, veuillez consulter la monographie appropriée. Les informations et les opinions exprimées ici sont le reflet des points de vue des auteurs et pas nécessairement de ceux du commanditaire.

DOULEUR CHRONIQUE ET TROUBLES DU SOMMEIL

Comprendre et traiter ces problèmes de santé apparentés Relation linéaire et circulaire Dans plus de 50% des cas, les plaintes pour cause de troubles du sommeil sont précédées d’une douleur aiguë. La relation entre la douleur et l’insomnie est alors linéaire: plus la douleur est forte, moins on dort. Dans les cas de douleur aiguë, les plaintes pour cause de troubles du sommeil diminuent généralement après la résolution du problème de douleur. Avec la douleur chronique, il semble que ce soit une relation circulaire qui prédomine: une journée de douleur chronique compte pour près du tiers de la variance de la qualité du sommeil; un mauvais sommeil entraîne à son tour plus de douleur le lendemain, ce qui crée un cercle vicieux duquel le patient a du mal à se sortir (figure 1). Ce cercle vicieux est bien connu chez les personnes dont la douleur chronique est due à la fibromyalgie ou à des brûlures graves de la peau. Les effets de la douleur sur le sommeil sont loin d’être modestes. Dans une étude canadienne menée en 2001 et basée sur des données transversales de l’Enquête sociale générale canadienne, l’insomnie a été fortement associée à une vie très stressante, à une douleur intense et à l’insatisfaction quant à sa santé, avec des risques relatifs approchés ajustés de 2,4, 1,99 et 1,88, respectivement5 . Il peut paraître surprenant que des facteurs de mode de vie comme le tabagisme, la consommation d’alcool et le niveau d’activité physique n’ont été que modestement ou non significativement associés à l’insomnie dans cette étude. La plupart des études montrent aussi une corrélation positive entre l’intensité de la douleur et le degré du trouble du sommeil6 . Dans une étude portant sur des personnes souffrant de douleur neuropathique, la difficulté à dormir était la plainte la plus courante, telle qu’évaluée par des questionnaires de qualité de vie liée à la santé7 . Plus de 60% des sujets de l’étude ont fait état de troubles du sommeil et presque autant se sont plaints d’un manque d’énergie associé au manque de sommeil. Il va de soi que l’incapacité de se concentrer, signalée par près de 4 sujets sur 10, serait liée à leurs troubles du sommeil (figure 2). La douleur intense, associée à un mauvais sommeil ou à un manque de concentration et (dans une minorité significative de cas) à la dépression et à l’anxiété, a mené à une minoration de la situation d’emploi de 52% des sujets. Nociception durant le sommeil Le sommeil fait généralement décroître la perception de la douleur proportionnellement au niveau de somnolence: plus on est alerte, plus forte est la sensation de douleur, et plus on dort profondément, moins on la ressent. On parle parfois de cet émoussement de la perception de la douleur comme d’un «abaissement du seuil de la douleur pendant le sommeil». Des études sur l’animal et sur l’humain ont mené la communauté médicale à reconnaître qu’un cerveau endormi n’est pas complètement isolé du monde extérieur et que les réseaux de neurones du système sensorimoteur associés à la vigilance et à la protection de l’organisme demeurent actifs pendant le sommeil. Dans le cadre d’expériences, des stimulus douloureux peuvent provoquer des réveils et des changements de stade du sommeil, et ce, à toutes les phases du cycle du sommeil, y compris durant les phases à ondes lentes et paradoxales2,4. Ces types de réponses peuvent expliquer pourquoi les personnes souffrant de douleur chronique font plus souvent état de troubles du sommeil et de réduction des fonctions cognitives. Douleur chronique et fragmentation du sommeil Dans une journée, les humains sont généralement en état d’éveil pendant 16 heures et dorment pendant 8 heures. Chaque nuit de sommeil se divise en sommeil léger sans mouvements oculaires rapides (stades 1 et 2), en sommeil profond sans mouvements oculaires rapides (stade 3) et en périodes de sommeil dit paradoxal (avec mouvements oculaires rapides). Le pourcentage du temps passé dans les divers stades du sommeil ne diffère pas notablement entre des personnes souffrant de douleur chronique et des sujets témoins, mais les personnes qui souffrent de douleur chronique tendent à avoir un sommeil plus fragmenté – à savoir que leur sommeil se divise en plusieurs périodes plutôt que d’être continu4 . Elles subissent plus de fluctuations cycliques au cours de leur sommeil du fait de fréquents éveils (d’une durée de 3 à 10 secondes en général) lors desquels le cerveau, le cœur et les muscles sont activés, ainsi que des périodes de réveil plus longues éventuellement associées à une reprise de conscience. D’autres marqueurs subtils de l’instabilité du sommeil sont plus de changements de stades du sommeil et les mouvements du corps (p.ex., membres, bruxisme). Ces perturbations sont souvent accompagnées d’ondes alpha rapides au niveau du cortex, qu’on appelle parfois «intrusions d’ondes alpha» 2 . L’interaction entre la douleur et les troubles du sommeil s’explique en partie par la fragmentation du sommeil (c.-à-d. fréquence plus élevée de réveils, de mouvements du corps ou de changements de stades du sommeil) et par une proportion moindre de périodes de sommeil lent en présence de douleur. Globalement, l’effet de la fragmentation du sommeil avec hyperactivité des fonctions cérébrales est que les patients ne se sentent pas frais et dispos après une nuit de sommeil, même s’ils ont dormi huit heures (tableau 1). Troubles du sommeil associés à la fibromyalgie Selon l’American College of Rheumatology, 96% des personnes souffrant de fibromyalgie se disent fatiguées, ce qui est un symptôme presque aussi caractéristique de la maladie que les douleurs musculaires diffuses (présentes par définition)8,9. De même, 86% des personnes souffrant de fibromyalgie se plaignent d’insomnie, tandis que 56% font état d’impatiences dans les membres inférieurs. Des études électroencéphalographiques (EEG) étayent un lien entre la fibromyalgie et le sommeil non réparateur, une forme de trouble du sommeil caractérisée par un nombre accru de réveils nocturnes. Des expériences contrôlées n’ont toutefois pas réussi à étayer l’hypothèse que les intrusions d’ondes alpha que l’on observe chez les patients fibromyalgiques sont spécifiques à leur maladie ou à leur douleur.

COMMENT LES TROUBLES DU SOMMEIL PROVOQUENT LA DOULEUR

TROUBLES PRIMAIRES DU SOMMEIL

Plus de 80 troubles du sommeil différents ont été définis. En dehors de l’insomnie, les troubles du sommeil courants sont l’apnée du sommeil (particulièrement chez les hommes de plus de 40 ans), le syndrome des jambes sans repos (besoin impérieux de bouger les jambes du fait de sensations désagréables), les mouvements périodiques des membres durant le sommeil et les diverses formes d’insomnie. L’insomnie à elle seule est suffisamment fréquente pour constituer un important problème de santé publique. Dans la population générale, 27% à 35% des gens font état d’insomnie au moins occasionnelle; parmi les personnes qui se présentent dans les cabinets de soins primaires, la prévalence des plaintes est de 46% à 69%10. Diverses études transversales ont montré que les personnes qui souffrent d’insomnie ont plus de problèmes de santé que les personnes qui n’en souffrent pas. L’âge et l’obésité sont des facteurs de risque de troubles du sommeil spécifiques. Comme notre population vieillit et que le taux d’obésité continue à monter, on peut s’attendre à ce que la prévalence de l’insomnie augmente. Études marquantes Nous savons que le manque de sommeil nuit au processus de guérison, perturbe le système immunitaire et accroît indirectement la sensibilité à la douleur. Dans les années 1970, un chercheur de Toronto, le Dr Harvey Moldofsky, a mené une expérience classique qui a montré que la manipulation du sommeil peut provoquer de la douleur chez des sujets sains11. Dans cette étude, deux groupes de jeunes volontaires en bonne santé (bien que pas très actifs physiquement) ont été soumis à une privation sélective du stade 4 ou de la phase paradoxale de leur sommeil. Dans le groupe privé du stade 4 du sommeil, on a observé une augmentation significative de la sensibilité musculaire entre le début de l’étude et l’état de privation ainsi qu’une augmentation, du jour au lendemain, des scores au dolorimètre, alors que cela ne s’est pas produit dans le groupe privé de la phase de sommeil paradoxal (figure 3). L’étude a permis de penser que les troubles du sommeil à eux seuls n’expliquent pas l’augmentation de la douleur, en particulier parce que les sujets privés de la phase paradoxale ont subi une perturbation plus importante du sommeil que ceux qui avaient été privés du stade 4. Les chercheurs ont également noté la similarité entre les symptômes douloureux des sujets et ceux qu’on associe à la fibromyalgie. Il faut noter que des anomalies des fréquences d’ondes alpha-delta ont été observées aussi bien Figure 1. Effets linéaires et circulaires de la douleur sur le sommeil4 Nouvelle douleur Douleur plus intense Dégradation de la qualité de vie Troubles du sommeil de longue durée Troubles du sommeil de longue durée Troubles du sommeil de courte durée Réversible avec un bon sommeil / le traitement de la douleur DOULEUR AIGUË Cercle vicieux de douleur chronique Figure 2. Symptômes liés au sommeil chez les personnes souffrant de douleur neuropathique7 % patients présentant un inconfort de modéré à très important Difficulté à dormir Manque d’énergie Somnolence Difficulté à se concentrer Dépression Anxiété Manque d’appétit 0 10 20 30 40 50 60 70 2 | Publié grâce à une subvention éducative de PFIZER CANADA INC.

DOULEUR CHRONIQUE ET TROUBLES DU SOMMEIL chez des personnes atteintes de fibromyalgie que chez celles souffrant de douleur chronique. Dans une étude pilote antérieure, des sujets en bonne forme physique n’avaient pas développé de symptômes douloureux alors qu’on les avait privés du stade 4 du sommeil, ce qui avait mené à supposer que la forme physique peut atténuer la douleur provoquée par la privation sélective de stades du sommeil. Une étude plus récente a montré que des sujets en bonne santé présentaient des excès de douleur à la suite d’une nuit de sommeil restreint12. Dans cette étude, le temps de latence du réflexe de retrait du doigt a été réduit de 25% chez des sujets qui étaient restés au lit pendant quatre heures la nuit précédente, comparativement à ceux qui étaient restés au lit pendant huit heures. C’est la première étude à avoir démontré que les réductions modestes du temps de sommeil, par opposition à la privation de sommeil, ont un effet hyperalgésique. Cet effet n’a pas été dupliqué dans une étude similaire menée l’année suivante; toutefois, les sujets soumis à des réveils forcés (une substitution de sommeil fragmenté) toutes les heures (par opposition à une simple restriction du temps de sommeil) ont montré une importante perte d’inhibition de la douleur et une augmentation de la douleur spontanée13. Un complément d’étude a montré que la restriction du sommeil à quatre heures par nuit provoque des altérations de l’humeur et une somatisation liée à la douleur au bout de trois ou quatre jours chez des sujets sains normaux14. Des données épidémiologiques récentes permettent de penser qu’il existe une relation encore plus complexe entre la durée du sommeil et la douleur subséquente: en particulier, le passage d’une nuit de sommeil relativement normale (de six à neuf heures) à soit une nuit de moins de six heures de sommeil, soit une nuit de plus de neuf heures de sommeil, a été associé à une augmentation substantielle de la fréquence de douleur le jour suivant15.

ÉVALUATION DES PATIENTS PRÉSENTANT UNE DOULEUR ET DES TROUBLES DU SOMMEIL

Quand on fait l’évaluation de patients présentant à la fois une douleur et des troubles du sommeil, la première étape consiste à identifier et traiter les facteurs de risques identifiables, comme la consommation d’alcool ou de drogues, le manque d’activité physique et la mauvaise qualité de l’environnement du sommeil. De même, le médecin doit être à l’affût d’éventuels troubles de l’humeur ou anxieux. L’anamnèse devrait comprendre les questionnaires appropriés et les échelles d’autoévaluation (en fonction de chaque cas), et l’examen physique devrait se concentrer sur l’identification de l’emplacement et du type de la douleur, y compris une douleur diffuse qui peut être associée à la fibromyalgie. (Voir le tableau 2 pour un choix d’outils d’évaluation.) Brosse, épingle, aiguille, glace, chaleur et vibrations font partie des modalités utilisées pour évaluer la douleur neuropathique. Les seuils de douleur et les tests de tolérance, bien qu’étant d’excellents outils de recherche, sont compliqués et prennent beaucoup trop de temps pour être utilisés dans un contexte de pratique générale. Il est important de dépister les troubles primaires du sommeil, parce que des problèmes comme le ronflement et l’apnée peuvent nuire à la qualité d’ensemble du sommeil. Il est particulièrement important d’exclure (ou d’identifier) les troubles de la respiration chez les personnes qui se plaignent d’avoir des maux de tête au réveil ou dans la matinée. Si on soupçonne la présence d’un trouble primaire du sommeil ou si le patient se plaint de somnolence excessive dans la journée, une étude diagnostique du sommeil doit être envisagée. Les résultats obtenus en laboratoire du sommeil sont utiles pour évaluer les habitudes de sommeil d’un patient et la qualité de son sommeil, de même que les perturbations physiologiques en relation avec sa douleur et ses problèmes de sommeil. Il est à noter qu’une étude récente a montré que la qualité du sommeil des patients souffrant d’une douleur est bien inférieure à celle de patients insomniaques4 . L’étude épidémiologique canadienne mentionnée plus haut, qui a établi des liens étroits entre l’insomnie et le stress, et la douleur et l’insatisfaction quant à sa santé5 , insiste sur l’importance de s’attaquer aux problèmes de santé chroniques, à la douleur chronique et aux facteurs stressants de la vie dans le diagnostic et le traitement de l’insomnie. Journaux du sommeil et de la douleur Il est utile de faire tenir un journal du sommeil par le patient afin de collecter des informations objectives sur son sommeil. Ce journal, habituellement tenu tous les matins pendant deux semaines par le patient, permet à ce dernier d’inscrire les heures auxquelles il se couche, le temps qu’il lui a fallu pour s’endormir, la durée du sommeil, le nombre de réveils au cours de la nuit, l’utilisation de somnifères, l’heure du réveil le matin ainsi que la note subjective attribuée à la qualité du sommeil et au niveau d’énergie au cours de la journée suivante. Le fait de conseiller au patient d’inscrire des estimations plutôt que des heures précises peut aider à rendre la tâche moins fastidieuse et favoriser ainsi l’observance. Tout comme un journal du sommeil, un journal de la douleur permet au clinicien (et au patient) d’obtenir des informations plus structurées au sujet de la douleur du patient. La plupart des journaux de la douleur comportent des sections où le patient peut inscrire son niveau de douleur à différents moments de la journée, les activités qui ont précédé l’apparition de la douleur, les médicaments d’ordonnance et les doses utilisées, de même que tout effet secondaire des médicaments. PRINCIPES DE TRAITEMENT ACTUELS On ne peut pas traiter efficacement une douleur chronique sans s’attaquer simultanément à d’éventuels troubles du sommeil et psychosociaux. Selon les cas, le traitement se concentrera plus sur le soulagement de la douleur tout en corrigeant les perturbations du sommeil ou sur le traitement des aspects relatifs à la santé mentale. Une intervention précoce est toujours conseillée afin de court-circuiter les cercles vicieux et de prévenir l’installation des problèmes chroniques. Si l’anamnèse, l’examen clinique et les journaux du sommeil et de la douleur montrent qu’on est en présence d’une douleur chronique et de troubles du sommeil, une combinaison d’approches comportementales, psychologiques et pharmacologiques est plus susceptible d’apporter des effets bénéfiques durables au patient. Il est également très important de gérer les attentes du patient. Certains s’attendent à une guérison complète, ce qui n’est pas toujours réaliste, mais avec les approches actuelles, la plupart des patients pourront bénéficier d’améliorations substantielles de la douleur, du sommeil et, donc, de leur qualité de vie. Hygiène du sommeil Il faut passer en revue l’hygiène du sommeil du patient et faire des recommandations pour la corriger au besoin. Les mesures susceptibles d’aider à favoriser le sommeil sont16 : • Maintenir des périodes de sommeil et d’éveil régulières. • Cesser de prendre de la caféine quatre à six heures avant de se coucher et en réduire la consommation quotidienne. • Éviter la nicotine, particulièrement avant l’heure du coucher ou quand on se réveille au milieu de la nuit. • Éviter de consommer de l’alcool tard le soir (l’alcool peut provoquer des réveils au cours de la nuit). • Éviter de prendre des repas copieux trop près de l’heure du coucher, bien qu’une légère collation aide parfois à s’endormir. • Faire régulièrement de l’exercice en fin d’après-midi, mais éviter les exercices vigoureux dans les trois à quatre heures précédant l’heure du coucher. • Éviter le bruit et la lumière ainsi que les températures trop hautes ou trop basses durant les heures de sommeil. • Éloigner du lit le réveil matin et d’autres sources de distraction potentielles. Certains spécialistes conseillent de faire une courte sieste dans la journée si la somnolence nuit au fonctionnement, mais il n’y a pas de consensus quant à savoir si la sieste est à conseiller comme stratégie à long terme pour favoriser le sommeil. Tableau 1.

QUELQUES SYMPTÔMES ET RÉSULTATS RELATIFS AU SOMMEIL EN PRÉSENCE DE DOULEUR

Symptômes au coucher • Retard de l’endormissement • Anxiété, rumination, etc. • Fatigue intense Perturbation de la structure du sommeil • Efficacité moindre du sommeil • Durée moindre du sommeil (controversé) • Plus grande proportion de sommeil de stade 1 • Proportion moindre de sommeil de stade 3 • Intrusions d’ondes alpha au stade 3 (controversé) • Nombreux mouvements au stade du sommeil lent • Fragmentation de la continuité du sommeil • Surréaction sympathique du cœur (controversé) • Cauchemars,mouvements périodiques des jambes, apnée,transpiration, palpitations cardiaques • Périodes d’éveil au cours du sommeil Perturbation des cycles de veille • Impression de sommeil non réparateur • Maux de tête au réveil • Somnolence au volant • Anxiété face aux tâches quotidiennes à la maison ou au travail • Fatigue persistante • Irritabilité, altérations de l’humeur,somatisation associée à la douleur Table 2. Quelques outils d’évaluation couramment utilisés4 Santé et humeur • Inventaire de dépression et d’anxiété de Beck • Questionnaire SF-36 • Questionnaire SCL-90 • Échelle SIP (Sickness Impact Profile) • Échelle IES (Impact of Event Scale) • Échelles d’évaluation de la fatigue Douleur • Questionnaire McGill sur la douleur • Inventaire MPI (Multidimensional Pain Inventory) • Échelle visuelle analogique (EVA) de 100 mm pour évaluer l’intensité de la douleur Sommeil • Index de qualité du sommeil de Pittsburgh (PSQI) • Échelle ESS (Epworth Sleepiness Scale) • Échelle visuelle analogique (EVA) de 100 mm pour évaluer la qualité du sommeil • Journaux du sommeil Figure 3. Effet de la privation de sommeil sur la douleur subséquente11 Volontaires sains (n = 6) privés du stade 4 du sommeil pendant trois nuits 100 80 60 40 20 0 Épaules Membres inférieurs Tête Cou Publié grâce à une subvention éducative de PFIZER CANADA INC. | 3 DOULEUR CHRONIQUE ET TROUBLES DU SOMMEIL ÉTUDE DE CAS: Un ensemble de problèmes courants et complexes Marie-Jeanne, 43 ans, chef de bureau, deux enfants d’âge scolaire, vient consulter son médecin de famille en se plaignant d’une douleur chronique dans le cou, les épaules et le dos, d’un manque d’énergie, d’anxiété et « de ne pas dormir ». Elle admet qu’elle a tendance à surréagir à des problèmes mineurs au travail et avec ses enfants. Interrogée au sujet de son humeur, elle avoue avoir une « certaine indifférence » vis-à-vis de certaines activités qui l’intéressaient auparavant, comme le jardinage. Marie-Jeanne a commencé par traiter sa douleur avec des analgésiques en vente libre, mais ils sont peu à peu devenus moins efficaces. Elle a réagi en augmentant les doses de MVL, ce qui a créé un cercle vicieux dans lequel de plus en plus de médicaments sont utilisés et la douleur ne fait que s’accroître. Le médecin lui a demandé de remplir un questionnaire sur le sommeil, lequel a révélé qu’elle se réveille presque toutes les nuits vers 3 h ou 4 h et qu’elle est incapable de se rendormir, sauf pour de très brèves périodes. Elle a toujours aimé lire avant de se coucher, mais elle est désormais incapable de se concentrer sur les mots d’une page. Elle craint que sa distraction et son irritabilité ne lui aliènent son mari et ne mettent son emploi en danger. Suspectant un trouble de l’humeur comorbide, son médecin lui demande de remplir le questionnaire PSQI (Pittsburgh Sleep Quality Index) et l’inventaire de dépression et d’anxiété de Beck. Les résultats font fortement penser à une dépression clinique. Se basant sur l’ensemble comprenant une douleur chronique non spécifique (qui ne correspond pas aux critères de la fibromyalgie), un sommeil non réparateur et une humeur dépressive, le médecin lui prescrit un antidépresseur. Marie-Jeanne a repris le travail après deux semaines; elle dit se sentir de plus en plus calme dans la journée et dormir un peu mieux la nuit. Sa douleur, bien que toujours présente, s’est atténuée et se manifeste plus épisodiquement. Son médecin lui a suggéré de cesser progressivement d’utiliser les MVL. Le régime d’assurance-maladie de MarieJeanne couvrant la psychothérapie jusqu’à concurrence de 500 $ par an, elle a suivi, sur recommandation de son médecin, trois séances de thérapie cognitivo-comportementale. Cette thérapie lui a appris des stratégies pour courtcircuiter ses réponses anxieuses aux événements stressants de la vie. Elle s’est aussi mise à faire des marches rapides après dîner deux ou trois fois par semaine. Deux mois plus tard, Marie-Jeanne se sent mieux dans l’ensemble, mais elle ressent toujours de la douleur de temps à autre et elle est souvent fatiguée dans la journée. Elle dit avoir retrouvé de l’intérêt « à sortir de la maison et à faire des choses ». Sur la base de ces réponses, son médecin et elle ont décidé qu’il convient de poursuivre le traitement pendant encore trois mois, après quoi ils pourront se revoir pour modifier le plan de traitement au besoin. Si Marie-Jeanne continue à ressentir de la douleur et à mal dormir, il pourrait être utile de faire une étude de son sommeil à la recherche de perturbations du sommeil telles que mouvements involontaires des membres, bruxisme ou troubles respiratoires en dormant, qui seraient susceptibles de fragmenter son sommeil. Éditrice: JANET SMITH Directrice de compte principale: PAULINE SHANKS Rédactrice en chef: DEIRDRE MACLEAN Chef de projet : GABRIELLE BAUER Directrice artistique: PATTI WHITEFOOT-BOBIER Ce supplément est publié par le Groupe des publications d’affaires et professionnelles des Éditions Rogers, One Mount Pleasant Road, Toronto (Ontario) M4Y 2Y5.Téléphone : 416 764-2000; télécopieur: 416 764-3931. Cette publication ne peut être reproduite, en tout ou en partie, sans l’accord écrit de l’éditeur. © 2011

APPROCHES COMPORTEMENTALES

Les approches comportementales visent à réduire l’état d’excitation qui caractérise les personnes qui dorment mal et à réduire le stress qui interfère avec le sommeil et aggrave la douleur. Les approches fondées sur des données probantes sont4,16 : • La relaxation, incluant la relaxation progressive des muscles, la respiration, la méditation et l’imagerie mentale. • Le traitement par la restriction du sommeil ou le raccourcissement du temps passé au lit pour augmenter le temps passé à dormir. En créant un état de légère privation de sommeil, cette approche favorise un endormissement plus rapide et un sommeil plus efficace. Il est généralement conseillé de modifier l’heure du coucher et de maintenir une durée d’éveil constante. • Le traitement par contrôle du stimulus ou réduction des stimulus favorisant l’éveil. Des comportements spécifiques consistant à n’aller au lit que pour dormir ou faire l’amour et à se lever quand on ne parvient pas à s’endormir. • La thérapie cognitivo-comportementale: cela implique d’identifier les croyances inadaptées relatives au sommeil (comme l’idée qu’il est absolument essentiel de dormir huit heures pour fonctionner correctement) et les remplacer par des croyances plus adaptées. Un nombre important de données montre que la thérapie cognitivo-comportementale est efficace à la fois pour les troubles du sommeil et pour la douleur chronique quand on utilise une approche hybride visant à la fois le sommeil et la douleur. Le fait d’étaler la charge de travail et la dépense d’énergie sur l’ensemble de la journée peut aussi être bénéfique au soulagement de la douleur et à la qualité de vie d’ensemble du patient. Approches pharmacologiques Quand on traite une douleur qui coexiste avec des troubles du sommeil, la difficulté est de soulager la douleur et de restaurer le sommeil sans provoquer une somnolence diurne excessive. (Il faut noter que, tandis que les traitements suivants sont reconnus au Canada, la notice de plusieurs d’entre eux ne comporte pas cette indication. Quand vous prescrivez ces médicaments, veuillez vous référer à la monographie de produit approuvée au Canada.) Analgésiques: selon la gravité du problème au départ, on peut commencer par essayer des médicaments moins puissants comme l’acétaminophène ou les anti-inflammatoires non stéroïdiens (à envisager en particulier chez des patients présentant des troubles inflammatoires tels que la polyarthrite rhumatoïde). Certains patients souffrent suffisamment pour envisager d’emblée d’utiliser des opioïdes faibles ou forts dès le début du traitement. Il faut cependant noter que les opioïdes peuvent interférer avec la structure du sommeil et accroître les risques de problèmes respiratoires comme le ronflement ou l’apnée4 . Relaxants musculaires: ils peuvent être utiles, soit seuls soit en association avec des analgésiques, si la tension musculaire ou les spasmes prédominent. Somnifères: Ils peuvent s’avérer utiles seuls ou en association avec des analgésiques, à condition de surveiller les effets sédatifs additifs1 . Antidépresseurs: on doit particulièrement envisager de les prescrire à des patients présentant une dépression comorbide, mais des données montrent qu’ils peuvent avoir un effet indépendant sur la douleur17. Indiquée dans le traitement de la fibromyalgie, la duloxétine est un bon choix quand la douleur chronique est associée à un trouble de l’humeur. L’amitriptyline et la nortriptyline, des tricycliques, conviennent aussi dans la mesure où elles peuvent favoriser le sommeil. Prise au besoin à faible dose, la trazodone aide à dormir sans avoir pour autant un important effet antidépresseur. Les gabapentinoïdes: la gabapentine et la prégabaline ont attiré l’attention en tant que traitements de la douleur chronique, particulièrement quand la douleur a une composante neuropathique. Une étude menée par le Dr Lesley Arnold, un spécialiste de la fibromyalgie, visait à évaluer l’efficacité et l’innocuité de la prégabaline en monothérapie chez des personnes atteintes de fibromyalgie18. En plus de l’amélioration attendue des scores de douleur, le traitement par la prégabaline a été associé à une importante amélioration du sommeil. Les effets indésirables de la prégabaline les plus fréquemment rapportés ont été les étourdissements et la somnolence (qui tendaient à dépendre de la dose). Le fait de prendre le médicament au coucher peut minimiser la somnolence dans la journée et donc améliorer l’observance thérapeutique. Autres: des anxiolytiques tels que les benzodiazépines (si le patient ne souffre pas d’apnée du sommeil) peuvent être utiles dans les cas où l’anxiété semble amplifier la douleur19. Produits dont l’efficacité est inconnue pour le traitement de la douleur associée à des troubles du sommeil4 : ils comprennent la valériane, la lavande, le sulfate de glucosamine (pour l’arthrose), le carisoprodol, la tizanidine, les antihistaminiques, les anesthésiants locaux et les agents topiques (p. ex., la capsaïcine). Autres interventions Les programmes d’exercices et la physiothérapie associée à la relaxation sont recommandés malgré le manque de données probantes. En cas de trouble respiratoire nocturne ou de ronflement accompagnés de douleurs matinales, un appareil de ventilation spontanée en pression positive continue ou une orthèse d’avancée mandibulaire (qui servent à maintenir les voies respiratoires ouvertes) peuvent apporter un certain soulagement. Dans les cas de douleur chronique résistante aux diverses formes de traitement, les interventions chirurgicales de dernier recours sont l’anesthésie par bloc nerveux, l’implantation d’un stimulateur cérébral et le débridement chirurgical d’un nerf.

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Sources

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